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Les impacts de la COVID-19 sur les fusions-acquisitions : quelques pistes de réflexion

Vous souhaitez vous lancer dans l’analyse de différentes opportunités d’affaires ou bien vous êtes présentement en processus de fusion ou d’achat/vente d’entreprise ? Voici quelques éléments à considérer dans le cadre de votre transaction afin de vous assurer que ses conditions soient adaptées à la nouvelle réalité résultant de la COVID-19.
La pandémie actuelle continue d’avoir un grand impact sur l’économie canadienne. Ces impacts se font ressentir également sur les transactions de fusions-acquisitions envisagées ou en cours dans le monde des affaires. Les acheteurs et les vendeurs se doivent plus que jamais de collaborer et de s’adapter à la situation afin que les transactions puissent être conclues. Nous explorerons par ce billet différentes pistes de réflexion permettant aux parties de maximiser les chances de succès d’une transaction.
Vérification diligente
DANS SON ENSEMBLE, LA VÉRIFICATION DILIGENTE DE L’ENTREPRISE CIBLE POURRAIT ÊTRE PLUS LABORIEUSE À COMPLÉTER RAPIDEMENT ET AVEC SUCCÈS. EN EFFET, PLUSIEURS VÉRIFICATIONS STANDARDS POURRAIENT ÊTRE DIFFICILES À MENER EN RAISON DES MESURES GOUVERNEMENTALES MISES EN PLACE POUR FREINER LA PANDÉMIE ACTUELLE.
Par exemple, l’inspection physique des lieux ou l’accès à certains documents pourrait s’avérer plus difficile dans la mesure où l’entreprise cible est toujours sujette à des restrictions gouvernementales quant à l’ouverture de ses lieux physiques. Le déconfinement progressif de la province de Québec allégera certainement ces difficultés dans les prochaines semaines, mais il sera important pour les entreprises cibles de se préparer adéquatement en amont du lancement du processus de vérification diligente afin d’assurer un processus efficace et sécuritaire. Il est fortement recommandé de rendre accessible électroniquement l’ensemble des documents et contrats clés de l’entreprise, et de préparer, dans la mesure du possible, un plan de visite des lieux qui assure la santé et la sécurité des représentants de l’acheteur et du vendeur.
Dans son analyse préachat, l’acheteur devra sans aucun doute valider les mesures prises et mises de l’avant par l’entreprise cible en réponse à l’éclosion de la COVID-19. En effet, l’acheteur voudra s’assurer que cette dernière a instauré des mesures de réduction et de contrôle des risques et des impacts négatifs liés à la pandémie, notamment pour assurer la conformité de l’entreprise cible aux lois du travail applicables et confirmer les projections financières visées par l’acheteur.
Il sera d’autant plus important pour l’acheteur de vérifier et d’analyser l’ensemble des principaux contrats conclus avec différents clients ou fournisseurs de l’entreprise cible afin de dresser un portrait complet de la solidité des relations entre les parties et de la sensibilité de l’entreprise cible aux risques contractuels et de valider la capacité de la cible à poursuivre ses affaires suite à la transaction. L’analyse des polices d’assurance, des couvertures incluses et des exclusions devrait également être complétée minutieusement, notamment en ce qui a trait à la protection contre les pertes d’exploitation d’entreprise. Ces analyses détaillées permettront à l’acheteur de dresser un bilan réaliste de la santé à court, moyen et long terme de l’entreprise cible.
Effets et changements défavorables importants (« CDI ») lors de la période intérimaire
La période intérimaire correspond au temps écoulé entre la signature d’une entente et la clôture de la transaction de fusion ou d’achat-vente elle-même. Plusieurs engagements sont prévus à l’égard de cette période afin de protéger l’acheteur et assurer un certain contrôle des événements qui pourraient survenir et impacter l’entreprise cible, notamment créer une fluctuation de la valeur des actifs ou des actions qui font l’objet de la transaction. Une clause de CDI fait typiquement partie de ces engagements intérimaires afin de permettre à l’acheteur de se retirer de la transaction si un CDI survient pendant cette période.
Les acheteurs et vendeurs devront réfléchir à adapter leur clause de CDI au contexte actuel. Pour ce faire, elles devront analyser la situation financière de la société cible et se demander quelles répercussions découlant de la COVID-19 seraient suffisamment sérieuses pour se qualifier de « changements défavorables importants » et adapter la définition de ce terme dans la convention.
Pour les transactions en cours dont la période intérimaire s’est amorcée avant le déclenchement de la crise sanitaire, il y aura lieu pour les parties de se questionner à savoir si les impacts sont suffisamment sérieux pour déclencher l’application de la clause de CDI et considérer la modification ou même la résiliation de l’entente négociée. Le tout sera évidemment sujet au libellé de la clause de CDI préalablement négociée.
Dans le contexte actuel, et afin de favoriser la poursuite des activités de fusions-acquisitions dans le marché, il est recommandé que les parties négocient afin de déterminer si l’ensemble des impacts de la pandémie devraient être exclus de l’analyse de la situation financière de la société cible. S’ils ne le sont pas, les parties pourraient plutôt établir un seuil de pertes des revenus d’entreprise attribuable à la COVID-19 qui permettrait à l’acheteur de mettre fin à la transaction en invoquant la clause CDI s’il est atteint.
La situation est encore trop nouvelle pour évaluer le résultat de la judiciarisation de débats à l’égard de l’application de clauses de CDI dans le contexte des transactions en cours. Par contre, il est évident qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour les acheteurs. En effet, un cas récent aux États-Unis illustre bien cette nouvelle réalité : dans le cadre de l’achat de l’entreprise Victoria’s Secret, la Delaware Court of Chancery a reçu une demande de la part de l’acheteur de mettre fin au processus d’achat de l’entreprise en raison des impacts de la COVID-19. Ce litige a fait l’objet d’un règlement le 4 mai 2020, preuve que la négociation entre l’acheteur et le vendeur est toujours l’avenue la plus prometteuse dans ces conditions incertaines.
Rajustement du prix d’achat et valorisation
Les parties pourraient également envisager de revoir les méthodes de calcul des ajustements au prix d’achat, puisque certaines des variables qui interviennent dans le calcul peuvent être impactées par les conséquences économiques de la pandémie.
En temps normal, une cible du fonds de roulement est établie et devra être atteinte à la clôture de la transaction, le tout basé sur une moyenne de données historiques de l’entreprise cible. Si une différence entre la cible choisie par les parties et la valeur réelle du fonds de roulement à la clôture existe, un rajustement du prix d’achat à la hausse ou à la baisse serait normalement prévu.
Cependant, la période d’incertitude économique actuelle rend plus ardue l’atteinte de la cible de fonds de roulement et complique aussi la détermination d’une cible représentant une image fidèle du fonds de roulement de l’entreprise cible. En effet, celui-ci dépend notamment du chiffre d’affaires de l’entreprise, qui sera fort probablement affecté par la crise sanitaire, ainsi que des comptes clients, qui pourraient être plus laborieux à collecter. Ces variables auront nécessairement un impact significatif sur le fonds de roulement en raison de la présente situation économique. Les parties pourraient alors choisir une méthode de rajustement différente afin de refléter une réalité financière adaptée, qui prend en compte les fluctuations importantes causées par l’éclosion de la COVID-19, par l’établissement de cibles variables (« floating targets »).
De plus, si les parties ne peuvent s’entendre sur une valorisation commune de l’entreprise cible et qu’un écart d’évaluation subsiste, celles-ci pourraient convenir d’ajouter une clause de contrepartie conditionnelle. Cette clause permettrait d’établir des cibles de résultats futurs de l’entreprise faisant l’objet de l’acquisition et rendrait au moins une partie du prix d’achat conditionnel à l’atteinte de ces résultats cibles. Par conséquent, l’acheteur peut différer le paiement d’une partie du prix d’achat lors de la clôture et répartir le paiement du solde à des dates ultérieures précises, dépendamment de l’atteinte, à ces dates, des cibles choisies préalablement par les parties.
Conclusion
En terminant, malgré la situation économique actuelle et les conditions particulières qui pourraient se retrouver au cœur des négociations, les parties doivent se rappeler qu’elles travaillent dans un but commun : la conclusion de la transaction. Pour y arriver, celles-ci devront être prêtes à ouvrir le dialogue sur de nouveaux enjeux et collaborer pour définir une répartition adéquate des risques découlant de la crise actuelle. Évidemment, chaque transaction est unique et devra faire l’objet d’une analyse de risques approfondie.
Ce billet fournit des informations d’ordre général et est partagé à titre informationnel seulement. Il ne constitue pas un avis juridique, et ne doit pas être interprété comme tel. Afin de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traités dans la présente et obtenir un avis juridique sur leur applicabilité à votre situation particulière, nous vous suggérons de consulter votre conseiller juridique pour vous assurer de protéger vos droits.
En collaboration avec Philippe Blais