Droit des affaires

Le rôle et la responsabilité des administrateurs en temps de crise

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Vous êtes administrateur d’une entreprise au Québec et celle-ci rencontre des difficultés financières en raison du contexte de la crise liée à la Covid-19? Voici quelques conseils concernant le rôle de surveillance des administrateurs dans ce contexte.

La situation liée à l’éclosion de la COVID-19 a évolué rapidement dans les dernières semaines, ce qui soulève plusieurs questions pour les administrateurs de sociétés. En temps de crise sanitaire, le ralentissement des opérations d’une société soulève de nouveaux risques, et nécessite une prise de décision dans un climat d’urgence. Il est donc important que les administrateurs comprennent comment s’acquitter de leur rôle et connaissent l’étendue de leur responsabilité potentielle dans ce contexte unique.

Ce billet fera un portrait de l’obligation de diligence des administrateurs dans l’exercice de leur rôle de surveillance ainsi que des sujets spécifiques qui devraient être prioritaires pour le conseil d’administration dans les circonstances.

L’obligation de diligence

Les administrateurs ont un devoir de diligence dans l’exercice de leur rôle de surveillance des affaires de la société. Ce devoir de diligence est imposé aux administrateurs par les lois corporatives et exige que les administrateurs agissent avec prudence et s’appuient sur les informations dont ils disposent pour prendre leurs décisions. Les administrateurs ont toutefois seulement une obligation de moyens et non de résultat. En effet, dans l’analyse de la responsabilité des administrateurs, les tribunaux examineront si la décision prise était raisonnable à la lumière des informations que les administrateurs détenaient lorsque celle-ci a été prise, et non s’il s’agissait de la bonne ou de la meilleure décision.

Si une décision est jugée raisonnable dans les circonstances, les tribunaux sont enclins d’appliquer la « business judgment rule » et à ne pas remettre en doute le jugement des administrateurs, qui se seront alors acquittés de leur devoir envers la société.

Dans le contexte actuel, le conseil d’administration devra s’assurer d’être encore plus diligent qu’à l’habitude dans son rôle de surveillance des affaires internes de la société. Cela signifie que le conseil d’administration devra suivre de plus près les décisions de la direction, s’informer activement des affaires de la société, poser des questions pour obtenir des informations additionnelles au besoin, obtenir l’avis d’experts si nécessaire, ainsi que rester disponible pour offrir conseils et opinions. De plus, il est important de documenter les interactions avec la direction.

Les priorités en temps de crise

EN TEMPS DE CRISE, LES ADMINISTRATEURS DEVRAIENT ÊTRE PARTICULIÈREMENT SENSIBLES AUX POINTS SUIVANTS :

1. Continuité des affaires

Les administrateurs doivent évaluer les plans de contingence de l’entreprise et la gestion des liquidités pendant la crise et s’assurer que les prévisions sont raisonnables et réalistes. Ils doivent poser des questions sur un plan qui semblerait trop optimiste. La société doit demeurer conservatrice dans son plan de contingence et de continuité des affaires afin de bien gérer les liquidités de la société. De plus, le conseil d’administration devrait être mis au courant des changements aux relations avec les clients et les fournisseurs, surtout si la société est en défaut ou à risque de défaut envers ces parties prenantes.

2. Santé et sécurité

Le conseil d’administration doit être mis au courant des mesures prises par la direction pour assurer la santé et la sécurité des employés, ainsi que de la planification de communications régulières avec le personnel et le respect par la société des recommandations des gouvernements et de l’Organisation Mondiale de la Santé. Le conseil d’administration devrait s’assurer que la société adapte ses politiques selon les développements récents.

3. Situation financière et dettes de la société

Les administrateurs devraient exercer un suivi serré de la situation financière de la société, considérant notamment qu’ils peuvent être tenus responsables personnellement et solidairement de certaines dettes de la société envers ses employés et les autorités fiscales, et ce autant si la société est régie par la Loi sur les sociétés par actions (Québec) que par la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

3a). Salaires

Ainsi, les administrateurs sont responsables, envers les employés de la société, des dettes liées aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière, et ce jusqu’à concurrence de six mois de salaire. Une poursuite personnelle contre les administrateurs sera possible si les employés n’ont pas pu exécuter un jugement obtenu contre la société exigeant le paiement de ces sommes ou si la société est processus de liquidation ou en faillite.

Le mot « salaire » doit être interprété avec un sens large et comprend toute rémunération qui peut être gagnée par un employé, incluant les commissions et le remboursement de dépenses, les bonis ainsi que les vacances, et les heures supplémentaires. Il ne comprend cependant pas les congés de maladie, les programmes d’investissements privés, les primes d’assurance collective, les frais d’arbitrage, ni les préavis de départ.

3b). Sommes dues à l’État

Les administrateurs sont également solidairement responsables des sommes dues et impayées à l’État (impôts, déductions à la source, TPS/TVQ) en raison de l’omission de la société́ de les prélever ou de les remettre lorsqu’elles sont dues, y compris les intérêts et pénalités s’y rapportant. Le fisc pourrait réclamer personnellement aux administrateurs le paiement des sommes dues par la société uniquement dans la mesure où ces sommes n’ont pas pu être recouvrées auprès de l’entreprise, soit parce que la société a fait faillite, qu’un jugement a été obtenu et exécuté à l’encontre de la société et qu’il demeure des sommes impayées, ou que la société a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution. Les sommes recouvrables auprès d’un administrateur personnellement seront alors limitées à celles que la société n’a pas payées alors qu’elles étaient dues.

3c). Exonération de responsabilité

L’administrateur peut s’exonérer de sa responsabilité personnelle s’il peut prouver sa diligence dans les circonstances ou en démontrant qu’il s’était fié à des rapports financiers ou d’experts. L’obtention d’une attestation de dirigeant confirmant le paiement des sommes dues par la société peut contribuer à établir cette défense, mais n’est pas déterminante. Il est important de considérer les faits spécifiques applicables à la société, et les administrateurs doivent pouvoir démontrer qu’ils ont agi diligemment dans les circonstances particulières dans laquelle la société évolue.

En résumé, le conseil d’administration doit s’assurer d’être consciencieux et de rester informé, ainsi que de poser les questions qui s’imposent afin de remplir leur rôle de surveillance et leur devoir de diligence dans le contexte actuel. Il sera important pour le conseil d’administration de pouvoir démontrer qu’il a agi avec prudence et diligence malgré les circonstances notamment en documentant chaque décision importante et en obtenant l’avis d’experts lorsque pertinent.

Ce billet fournit des informations d’ordre général et est partagé à titre informationnel seulement. Il ne constitue pas un avis juridique, et ne doit pas être interprété comme tel. Afin de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traités dans la présente et obtenir un avis juridique sur leur applicabilité à votre situation particulière, nous vous suggérons de consulter votre conseiller juridique pour vous assurer de protéger vos droits et d’appliquer ceux-ci convenablement.