Droit du travail et de l'emploi

Les implications juridiques – 124 Congédiement sans cause juste et suffisante

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Les relations de travail individuelles régies par la Loi sur les normes du travail
Il existe plusieurs recours pour les employés d’une entreprise en cas de terminaison d’emploi. Dans cette première série d’articles présentant les recours sous la Loi sur les normes du travail (« L.n.t »), nous analyserons le recours des salariés qui sont congédiés sans cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la L.n.t.

Il est important de noter que la Loi sur les normes du travail régie l’ensemble des relations de travail individuelles et non les relations de travail syndiqué, par conséquent, il est important de se référer au Code canadien du travail pour ces relations et à la convention collective en place pour connaître les recours possibles des employés en cas de terminaison de l’emploi.

Conditions d’ouvertures du recours

1.Être un salarié au sens de L.n.t.

L’employé doit se qualifier comme étant un « salarié » au sens de la loi. Afin d’être qualifié comme étant un salarié, l’employé doit posséder un contrat de travail, verbal ou écrit avec son employeur. Le contrat de travail doit inclure trois éléments soit : une prestation de travail de l’employé, une rémunération ainsi qu’un lien de subordination entre l’employeur et l’employé.[1]

De plus, l’employé pourra être qualifié comme étant un « salarié » sous réserve que celui-ci ne soit pas un cadre supérieur.[2] Une analyse factuelle des faits devra être effectuée afin de vérifier si un employé peut se qualifier comme étant un cadre supérieur. Certains facteurs militent en faveur de la reconnaissance cette position au sein d’une entreprise tels que la participation à l’élaboration de stratégies et de politiques au sein de l’entreprise, une position hiérarchique élevée au sein de l’entreprise, l’exercice de fonctions importantes ainsi que la possibilité d’exercer certains pouvoirs, notamment, la possibilité d’engager et de congédier des salariés.

2. Deux ans de service continu au sein de l’entreprise

Le salarié doit aussi justifier de deux ans de service continu au sein de l’entreprise afin de pouvoir bénéficier du recours sous l’article 124 de la Loi. Le calcul du service continu doit se faire en considérant la période d’emploi dans l’entreprise, et ce, indépendamment, du nombre d’employeurs qui ont été responsables de l’entreprise durant ladite période. Par conséquent, un employé pourrait justifier de deux années de service continu indépendamment de la vente de l’entreprise en entier à un autre employeur, sous réserve de certains faits entourant cette vente[3].

D’ailleurs, le pouvoir discrétionnaire de l’employeur pour mettre fin à un emploi est plus étendu lorsque l’employé en question justifie de moins de deux ans de service continu auprès d’une entreprise. En effet, durant cette période, l’employeur dispose d’une plus grande flexibilité quant aux motifs de congédiement possibles et n’est pas assujetti aux contraintes de l’article 124 de L.n.t, soit de notamment posséder une cause juste et suffisante de congédiement.

3. Congédiement de l’employeur

L’employeur doit avoir congédié l’employé afin que celui-ci puisse bénéficier du recours.  Cette notion de congédiement exclut, selon la jurisprudence, la terminaison d’emploi justifié par des motifs d’ordre économiques ou encore lors de réorganisation interne de l’entreprise. Par conséquent, on distingue la notion de congédiement du licenciement. Il est donc important de comprendre que lorsque l’on parle de congédiement, les motifs de fin d’emploi sont liés à un manquement de l’employé en question et non à des motifs propres de l’entreprise tels qu’une difficulté économique ou le besoin de réorganiser l’entreprise.

Un congédiement sera qualifié de disciplinaire lorsqu’un employé aura commis plusieurs fautes dans le cadre de son emploi ou une seule et unique faute grave. Un congédiement disciplinaire découle donc d’un manquement volontaire de l’employé. À l’opposé, un congédiement sera qualifié comme étant administratif lorsque l’employé ne possédera pas la capacité ou les compétences d’exercer ses fonctions au sein de l’entreprise, ce qui suppose un manquement involontaire de l’employé dans le cadre de son emploi.

4. Absence de recours équivalent

Le recours de l’article 124 L.n.t n’est ouvert au salarié que lorsque ce dernier ne dispose pas d’une procédure de réparation équivalente, autre qu’un recours en dommages-intérêts, prévu ailleurs dans la Loi, dans une autre loi ou dans une convention, individuelle ou collective. Par exemple, pour les salariés syndiqués, l’arbitre de grief répond habituellement à ce critère et permet aux salariés syndiqués de bénéficier d’une procédure de réparation équivalente à celle prévue à la Loi.

5. Le dépôt d’une plainte dans les 45 jours du congédiement

Finalement, la dernière condition exige que la plainte de l’employé soit être déposée par écrit dans les 45 jours de son congédiement auprès la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.

Fardeau de preuve de l’employeur

Une fois les conditions ci-haut établies, il appartient à l’employeur de démontrer que celui-ci possédait une cause juste et suffisante de congédier le salarié. Les mots « juste et suffisante » signifient qu’il doit exister une cause qui est suffisamment importante pour justifier un congédiement. En d’autres termes, il n’y a pas de cause juste et suffisante si le congédiement est une sanction disproportionnée par rapport à la faute. Pour démontrer que la sanction est proportionnée dans le contexte, l’employeur devra donc démontrer certaines démarches préalables au congédiement.

1.Congédiement administratif

Dans le cadre d’un congédiement administratif, l’employeur devra démontrer qu’il a respecté une série de mesures afin d’aider l’employé à se replacer préalablement à son congédiement. Par exemple, selon la jurisprudence[4], lorsqu’un employeur congédie un salarié pour cause d’incompétence, l’employeur doit préalablement : (1) informer l’employé des attentes formulées à son égard et des politiques de l’entreprise ; (2) signaler à son employé ses lacunes ; (3) apporter et fournir le soutien nécessaire pour que l’employé soit en mesure de se corriger et d’atteindre les objectifs ;(4) accorder un délai raisonnable à l’employé pour s’ajuster et ; (5) informer l’employé clairement de la possibilité d’un congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

Un employeur qui ne suit pas cette procédure sera réputé avoir agi de façon abusive et déraisonnable et ne pourra justifier d’une cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la L.n.t.

2. Congédiement disciplinaire

Dans le cadre d’un congédiement disciplinaire, la cause juste et suffisante est reliée soit à la faute grave ou à une accumulation de manquements disciplinaires de l’employé.

La faute grave est généralement connue comme étant un seul et unique événement qui présente une gravité importante et qui rend indispensable la rupture du lien d’emploi immédiatement. Par exemple, la jurisprudence a établi que généralement le vol ou la fraude commis par l’employé dans l’exercice de ses fonctions est une faute grave justifiant le congédiement immédiat dudit employé.

Si l’employeur ne peut justifier d’une faute grave, celui-ci devra démontrer une accumulation de manquements disciplinaire de l’employé afin de justifier d’une cause juste et suffisante. Dans ce cas, une série de mesures disciplinaires doit avoir été imposée au préalable par l’employeur. Par exemple, si l’employé fait preuve d’absentéisme non justifié à plusieurs reprises, l’employeur devra imposer des mesures disciplinaires qui sont proportionnelles à la faute commise et permettre à l’employé de s’amender par une gradation des sanctions. L’employeur pourra donc débuter par un avis verbal et éventuellement, dans le cas d’absences répétées et non justifiées congédier l’employé. De plus, l’employé doit avoir été avisé de l’imminence de son congédiement en l’absence d’améliorations de sa part.  Il est important de noter que l’employé ne peut recevoir deux mesures disciplinaires pour le même manquement, chaque manquement ne peut faire que l’objet d’une seule et uniquement mesure disciplinaire par l’employeur.

Pouvoir de réparations du Tribunal administratif du travail

Si le Tribunal administratif du travail (« T.A.T. ») juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, le T.A.T. dispose d’un pouvoir de réparation qui lui permet de le réintégrer dans son emploi, de l’indemniser pour le salaire perdu et de rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.[5]

De plus, il est possible pour le T.A.T., d’opter pour une indemnité compensatoire lorsque la réintégration du salarié s’avère impossible et si la preuve le justifie, d’ordonner la réparation des dommages supplémentaires subis par le salarié.

Le T.A.T. possède donc de larges pouvoirs qui sont lourds de conséquences pour les employeurs ne possédant aucune cause juste et suffisante.

Recommandations

Le congédiement est la sanction ultime et l’employeur doit agir avec précaution et discernement avant de procéder au congédiement d’un employé. De plus, nous recommandons fortement à l’employeur de documenter les séries de mesures prises pour justifier un congédiement disciplinaire ou administratif dans un dossier daté et à jour.

Afin d’être en mesure de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traités dans le présent article, nous vous invitons donc à consulter un avocat de notre équipe pour vous assurer de protéger vos droits et d’appliquer ceux-ci convenablement.

Ce billet fournit des informations d’ordre général et est partagé à titre informationnel seulement. Il ne constitue pas un avis juridique, et ne doit pas être interprété comme tel. Afin d’être en mesure de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traités dans la présente et obtenir un avis juridique sur leur applicabilité à votre situation particulière, nous vous suggérons de consulter votre conseiller juridique.


  1. [1] Article 2085 Code civil du Québec.
  2. [2] Article 3(6) de la Loi sur les normes du travail.
  3. [3] Article 1(12) Loi sur les normes du travail.
  4. [4] Laplante c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2005 QCCA 788, par. 76
  5. [5] Article 128 Loi sur les normes du travail.