Droit immobilier et de la construction
Les impacts de la COVID-19 dans l’industrie de la construction

Vous possédez une entreprise de construction au Québec et vous vous questionnez sur vos obligations légales et vos droits dans le cadre de la reprise des travaux de construction et de la livraison de vos projets ? Voici quelques conseils concernant les avenues possibles qui s’offrent à vous en cas difficulté ou d’incapacité de respecter les échéanciers préalablement négociés avec votre client.
Le 11 mai dernier, l’ensemble des secteurs de la construction de partout au Québec a été autorisé à reprendre ses activités. Les travailleurs de la construction du Québec avaient quitté les chantiers le 24 mars et étaient en arrêt depuis, à l’exception du milieu résidentiel, qui avait été autorisé de reprendre ses activités le 20 avril dernier.
Considérant l’arrêt prolongé des chantiers, la reprise des activités vient certainement avec son lot de nouveaux défis et questionnements pour les entrepreneurs qui doivent s’adapter à une nouvelle réalité, de nouvelles normes et de nouvelles façons de faire. Nous explorons donc dans ce billet certaines avenues qui s’offrent aux entrepreneurs en cas de difficulté ou d’incapacité de respecter les échéanciers préalablement établis et le prix du contrat convenu avec leurs clients.
Force majeure : concepts généraux et application
Il est évident que les entrepreneurs en construction ont dû établir de nouveaux échéanciers et supporter des coûts additionnels lors de la réouverture de leurs chantiers. En effet, les entrepreneurs doivent mettre en place de nouvelles mesures d’hygiène sur les chantiers (eau courante, désinfection et nettoyage) qui rendent vraisemblablement plus onéreuse l’exécution de l’ouvrage et qui engendrent des délais supplémentaires, le tout dans le but de respecter leurs obligations d’assurer la santé, l’intégrité et la sécurité des travailleurs [1]. Ces délais et ces coûts additionnels engendrés par les mesures sanitaires à mettre en place en raison de la pandémie pourraient-ils constituer un cas de force majeure ou autrement donner lieu à une certaine réduction des obligations de l’entrepreneur ou un partage du risque entre l’entrepreneur et son client? Dans certaines circonstances, nous croyons que oui.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques observations préliminaires sont requises. En premier lieu, il va de soi que l’entrepreneur qui était déjà en défaut ou en retard avant la fermeture des chantiers ne pourra pas se prévaloir des impacts de la crise actuelle comme moyen de défense pour compenser ces retards préexistants. Par ailleurs, de manière générale, le fait que l’exécution du contrat soit devenue plus coûteuse ou plus difficile ne permet pas à l’entrepreneur d’invoquer la force majeure en vertu du régime général prévu à l’article 1470 du Code civil du Québec. En effet, le fait de devoir embaucher plus de travailleurs ou de devoir avoir recours à un différent fournisseur de matériaux ne pourrait constituer un cas de force majeure.
De plus, la force majeure, en matière de construction, ne permet pas aux entrepreneurs de s’exonérer totalement de leurs obligations contractuelles. Les entrepreneurs bénéficient uniquement d’un délai supplémentaire pour remplir leurs obligations sans devoir par ailleurs payer une indemnité au client pour le retard causé par cette force majeure.
Ainsi, afin de déterminer ses droits, il y a lieu pour l’entrepreneur d’avant tout valider les clauses du contrat de construction convenu avec son client, notamment afin de savoir si une ou des clauses exonératoires, notamment quant à la force majeure, s’y retrouvent. En effet, ce sont d’abord les termes de ces clauses qui s’appliqueront. Il est donc important de valider cette information afin de connaître les critères à respecter pour alléguer une force majeure ou autre exonération. Nous traiterons ci-dessous de certaines clauses qui se trouvent dans les contrats de construction standards.
Par ailleurs, si le contrat est muet à ce sujet, l’entrepreneur pourra, pour invoquer un cas de force majeure, tenter de démontrer que la crise de la COVID-19 respecte les critères de l’article 1470 du Code civil du Québec. Cependant, cette analyse sera basée sur l’analyse au cas par cas des faits applicables, et nécessitera donc l’intervention de votre conseiller juridique.
Clauses standards relatives aux cas de force majeure ou de retards excusables
IL FAUT NOTER QUE LE DÉCLENCHEMENT D’UNE CLAUSE DE FORCE MAJEURE PRÉVUE AU CONTRAT DÉPEND DE L’INTERPRÉTATION DE LA CLAUSE EN QUESTION ET DE SES CRITÈRES D’APPLICATION. IL S’AGIRA DONC D’UNE ANALYSE AU CAS PAR CAS, AVEC LAQUELLE VOTRE CONSEILLER JURIDIQUE POURRA VOUS ASSISTER.
CEPENDANT, IL EXISTE CERTAINES CLAUSES STANDARDS DANS LES CONTRATS DE CONSTRUCTION PERMETTANT DE REPORTER LES OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR ET NE FAISANT PAS RÉFÉRENCE DIRECTEMENT AU CONCEPT DE « FORCE MAJEURE » OU DE « PANDÉMIE ».
À titre d’exemple, certaines clauses du contrat CCDC-2 (2008) (Contrat à forfait) et du CCDC-3 (2016) (Contrat à prix coûtant majoré) prévoient des exonérations pour des cas de retards et un mécanisme de modification du contrat qui pourraient recevoir application dans le contexte actuel de la COVID-19. Bien qu’elles ne mentionnent pas spécifiquement le cas d’une pandémie, les clauses CG 6.5 et suivantes prévoient que si un retard sur le chantier est causé par « une cause indépendante de la volonté de l’entrepreneur », il y aura possibilité de prolonger pour une période raisonnable le délai d’exécution de l’ouvrage, sous réserve du respect de certaines balises. Il est précisé que cette cause indépendante ne devra pas résulter d’un défaut de l’entrepreneur.
Les nouvelles mesures sanitaires de prévention incluses dans le récent guide de la CNESST pourraient constituer une cause indépendante de la volonté de l’entrepreneur dans le cadre de l’application de ces clauses standards. En effet, il est facile d’imaginer notamment que les nouvelles règles de distanciation sociale de deux (2) mètres obligeront les entrepreneurs à revoir l’ensemble de la planification des travaux afin de réduire l’encombrement des chantiers et auront comme conséquence directe d’allonger le temps d’exécution des travaux. De plus, cette même conséquence pourrait découler d’une pénurie de matériaux des fournisseurs du chantier qui engendrait des délais supplémentaires pour l’entrepreneur. Toutefois, comme précisé précédemment, la pénurie de matériaux devra être indépendante de la volonté de l’entrepreneur et ne pas résulter d’une négligence ou d’une faute de l’entrepreneur dans la gestion de son chantier.
Il est important de noter que ces dispositions contractuelles n’enlèvent en aucun cas l’obligation de l’entrepreneur de minimiser les impacts de la crise de la COVID-19 dans la mesure du possible et de conserver les preuves d’un tel effort de mitigation des dommages. Elles peuvent par contre offrir un certain répit à l’entrepreneur dans le cadre de la gestion de ses livrables. De plus, les deux contrats mentionnés diffèrent quant à la possibilité pour un entrepreneur de réclamer des coûts pour faire face à ces retards et délais.
Clauses relatives aux modifications des lois
De nombreux contrats de construction prévoient également des dispositions comportant le droit de modifier les documents contractuels dans l’éventualité où une réglementation, un code, une loi ou une ordonnance aurait un impact direct sur l’ouvrage, soit, notamment, sur les délais et les coûts de celui-ci. Nous rappelons à cet égard que la CNESST a publié son guide applicable aux chantiers de construction le 13 avril dernier et que le non-respect des lignes directrices émises peut mener à l’imposition d’amendes pénales aux entrepreneurs en construction [2]. Ainsi, à défaut de clauses traitant de la force majeure ou des retards excusables d’exécution, il pourrait être intéressant pour l’entrepreneur de se rabattre sur ces dispositions et analyser leur applicabilité dans le contexte actuel. Dans tous les cas, les entrepreneurs devraient rester à l’affut des modifications législatives ou décrets gouvernementaux qui pourraient être adoptés dans les mois à venir.
La négociation avec le client : une avenue parfois préférable
Si le contrat de construction ne prévoit aucune clause relative à la force majeure, aux retards excusables ou encore à des changements législatifs, une analyse approfondie du contrat pourrait être effectuée pour établir une stratégie de négociation avec le client pour partager les risques entre les parties.
Cette approche pourrait vous éviter de devoir vous rabattre sur les critères de l’article 1470 du Code civil du Québec afin d’évoquer la force majeure. En effet, chaque cas étant un cas d’espèce, il appartiendra au tribunal de décider si les faits relatifs à la situation de l’entrepreneur permettront son application. Ce processus peut être long et coûteux, et une entente à l’amiable avec votre client peut vous éviter bien des tracas.
Conclusion
Nous vous rappelons l’importance pour l’entrepreneur de consulter un conseiller juridique afin de valider les dispositions de ses contrats actuels dans l’éventualité où celui-ci désire se prévaloir de certaines clauses pour obtenir des délais supplémentaires pour la réalisation de ses travaux ou une modification du prix de l’ouvrage. Ceci est d’autant plus important pour les nouveaux projets de construction qui devront être adaptés pour adresser les enjeux juridiques et financiers résultant de la pandémie.
Ce billet fournit des informations d’ordre général et est partagé à titre informationnel seulement. Il ne constitue pas un avis juridique, et ne doit pas être interprété comme tel. Afin d’être en mesure de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traités dans la présente et obtenir un avis juridique sur leur applicabilité à votre situation particulière, nous vous suggérons de consulter votre conseiller juridique.
- Article 51 Loi sur la santé et la sécurité du travail.
- Articles 236 et 237 Loi sur la santé et la sécurité du travail.