Droit immobilier et de la construction

L’impact de la COVID-19 sur les baux commerciaux : quelques pistes pour les locataires

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Vous êtes liés par un bail commercial, mais ne pouvez jouir des lieux loués en raison d’un décret gouvernemental forçant la fermeture d’établissements sur le territoire du Québec en lien avec la COVID-19 ? Voici vos droits en tant que locataire.

Le Gouvernement provincial a émis un décret qui force la fermeture de toutes les entreprises et de tous les commerces du Québec jusqu’au 13 avril 2020, à l’exception des services jugés essentiels, afin de freiner la propagation de la pandémie due à la COVID-19.

En raison de ce décret, plusieurs locataires n’auront plus accès à leur espace locatif et ce, pour une période indéterminée. Nous explorerons par ce billet différentes pistes de réflexion pour les locataires ainsi affectés. Évidemment, chaque situation étant différente, nous vous suggérons de parler à l’un de nos professionnels pour prendre la mesure la plus adaptée à votre situation.

La clause force majeure prévue au bail commercial ou au Code civil du Québec peut-elle s’appliquer ?

Afin de pouvoir se libérer de ses obligations découlant d’un bail commercial, un locataire pourrait invoquer une clause de force majeure si une telle clause est prévue à son bail. Alors, c’est le libellé de cette clause qui déterminera l’étendue des obligations des parties en cas de force majeure ainsi que ce qui sera considéré comme étant un événement de force majeure.

À défaut d’avoir une telle clause dans son bail commercial, le locataire pourrait néanmoins bénéficier de la protection qu’offre le Code Civil du Québec relativement à la survenance d’une situation de force majeure. Cependant, pour bénéficier de ce recours, le locataire ne doit pas s’être engagé dans son bail commercial à garantir au locateur la réparation du préjudice qui découle de la non-exécution par le locataire de son obligation malgré la situation de force majeure, notamment par le biais de clauses d’indemnisation, d’ententes de cautionnement ou de suretés. Une telle garantie fournie par le locataire l’empêcherait de s’exonérer de son obligation, même en cas de force majeure, d’où l’importance de bien comprendre les dispositions prévues au bail commercial.

Au Québec, le concept de force majeure est défini par l’article 1470 C.c.Q. De manière générale, un cas de force majeure dispense une partie à un contrat d’exécuter son obligation si ce défaut d’exécution est attribuable à un événement externe, hors du contrôle de cette partie, qui est irrésistible et imprévisible.

La notion d’imprévisibilité signifie que les parties n’auraient pas pu, au moment de la conclusion du contrat, prévoir la survenance de l’événement. Le caractère irrésistible de l’événement réfère à l’impossibilité pour la partie concernée de remplir son obligation ou de prendre des mesures raisonnables pour éviter la survenance de l’événement.

Par conséquent, si les critères de la loi ou du bail sont rencontrés, le locataire pourrait être libéré de ses obligations, notamment son obligation de payer le loyer, du fait d’un événement pouvant être qualifié de force majeure.Pour ne citer qu’un exemple, le virus H1N1 a été reconnu par les tribunaux comme étant un cas de force majeure. Les auteurs considèrent qu’il est donc fort possible que la crise liée au COVID-19 soit reconnue comme étant un cas de force majeure donnant ouverture aux dispositions contractuelles et statutaires.

Le paiement du loyer « sous protêt »

LE LOCATEUR EST TENU DE DÉLIVRER AU LOCATAIRE LE BIEN LOUÉ EN BON ÉTAT ET DE LUI EN PROCURER LA JOUISSANCE PAISIBLE PENDANT TOUTE LA DURÉE DU BAIL. EN CONTREPARTIE, LE LOCATAIRE EST TENU, PENDANT LA DURÉE DU BAIL, DE PAYER LE LOYER CONVENU

Par conséquent, si le locateur ne fournit plus l’accès aux lieux loués au locataire, ce dernier pourrait refuser d’exécuter son obligation à son tour et donc refuser de payer le loyer indiqué au bail. En effet, lorsque les obligations d’un contrat sont exigibles de part et d’autre et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative.

Par contre, lorsque les liquidités du locataire le lui permettent dans une situation de crise, il pourrait être préférable, afin de maintenir une bonne relation contractuelle avec leur locateur, payer néanmoins leur loyer. Dans un contexte d’incertitude juridique, et en attendant que la crise soit qualifiée par les tribunaux, les locataires pourraient effectuer le paiement des loyers dus « sous protêt », c’est-à-dire, sans reconnaissance de dette.

Pour effectuer les paiements de loyer sous protêt, le locataire peut inscrire directement sur le chèque fait à l’ordre du locateur la mention « sous protêt » ou « sous réserve ». Cette mention indiquera que le locataire conteste le montant payé et qu’il se réserve le droit de réclamer le remboursement de la somme en question. En agissant de cette manière, le locataire préserve son droit de réclamer certaines sommes dues en raison de l’inexécution contractuelle du locateur de fournir la jouissance des lieux loués.

La clause « hardship »

Il est plus rare, mais possible, que votre bail commercial possède une clause de « hardship ». Ce type de clause ne doit pas être confondu avec la clause de force majeure. La clause de « hardship » permet une révision possible du contrat advenant une rupture d’équilibre entre les obligations des parties et leur contrepartie. En d’autres mots, cette clause permet à l’une des parties contractantes d’exiger que s’ouvre une nouvelle négociation lorsque la survenance d’un événement de nature économique ou autre modifie de manière importante l’équilibre des prestations prévues au contrat.

Par conséquent, en tant que locataire, vous devriez vérifier si votre bail contient une clause « hardship ». L’éclosion du COVID-19 semble être un cas qui permettrait l’ouverture d’une nouvelle négociation d’un bail qui contiendrait une telle clause, sous réserve de l’étendue de celle-ci.

Contactez votre assureur ou courtier en assurances

Il est possible que vous soyez couverts par vos assurances pour les conséquences découlant d’un cas de force majeure. En effet, il existe certaines couvertures auxquelles vous avez peut-être dû souscrire au moment de la conclusion de votre bail commercial, comme la couverture visant la continuité des affaires. Si elle est incluse dans votre police, cette couverture pourrait vous compenser pour vos pertes de bénéfice attribuables aux risques assurables en vertu de votre police, dont potentiellement un risque de force majeure.

Parlez avec votre locateur

Il demeure que dans un contexte de crise généralisée comme celle que nous traversons actuellement, mieux vaut tout d’abord ouvrir un dialogue avec votre locateur afin de déterminer quelles pistes de solutions ou aménagements pourraient vous être offerts dans les circonstances. Il n’est pas exclu que votre locateur ait lui-même eu des allègements au niveau de ses prêteurs dont il pourrait vous faire bénéficier. Vous pourrez alors discuter de report de loyer, d’exemption du paiement du loyer de base, etc.

Ce billet fourni des informations d’ordre général et est partagé à titre informationnel seulement. Il ne constitue pas un avis juridique, et ne doit pas être interprété comme tel. Afin de bien saisir l’ensemble des éléments légaux qui ont été traité dans la présente et obtenir un avis juridique sur leur applicabilité à votre situation particulière, nous vous suggérons de consulter votre conseiller juridique pour vous assurer de protéger vos droits.


  1. Code Civil du Québec, Art. 1470.
  2. Jean-Louis Baudouin, P.-G. Jobin et N. Vézina, Les obligations, 7e éd. 2013, Motifs légaux d’exonération, EYB2013OBL128, par. 845.
  3. Jean-Louis Baudouin, P.-G. Jobin et N. Vézina, Les obligations, 7e éd. 2013, Motifs légaux d’exonération, EYB2013OBL128, par. 846.
  4. Dans Lebrun c. Voyages à rabais (9129-2367 Québec inc.) et Béland c. Charterama Trois-Rivières ltée, la Cour du Québec a reconnu que le virus H1N1 constituait une force majeure pour une compagnie aérienne.
  5. Précité note 1, art. 1854.
  6. Précité note 1, art. 1855.
  7. Précité note 1, art. 1591.
  8. Karim Vincent, Le consortium d’entreprises, joint venture : nature et structure juridique : rapports contractuels, partage des responsabilités, règlement des différends, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, par. 181.